Zad de Roybon – Un arrêté préfectoral indispensable au projet annulé!

Le soleil était déjà brûlant ce jeudi matin dans la forêt de Chambaran, sur les hauteurs du village de Roybon (Isère), lorsque les zadistes ont appris que le tribunal administratif de Grenoble annulait l’une des autorisations préfectorales nécessaires à la construction du complexe de loisirs du groupe Pierre & Vacances.

Nul triomphalisme chez les militants, quelques sourires tout au plus. Une jeune femme installée dans la forêt depuis des mois précise : «C’est bien, mais tant que je n’entendrai pas « Center Parcs à Roybon, c’est fini », je reste prudente. Je crois qu’on doit rester ici encore.» Elle fait visiter le potager – pommes de terre, pois, haricots, fèves, tomates – créé au bord de l’une des six immenses clairières défrichées par Pierre & Vacances à l’automne dernier.

Un peu plus loin, elle présente, avec un sourire, une «barributte» : une barricade de bois emplie de terre où poussent des potimarrons, des graines venues de la ZAD de Sivens… Des dizaines de barrages de branches ou de terre, parfois dérisoires, parsèment la piste traversant le site de 200 hectares projeté pour la construction du Center Parcs et occupé par quelques dizaines de zadistes depuis l’automne.

Château d’eau. Aux deux entrées de la piste, d’étonnants fortins de bois, protégés par des fossés, ont été dressés. La forêt est parcourue de sentiers zadistes, reliant la demi-douzaine de lieux de vie aux quatre coins du site. Certains bâtiments, murs de torchis et toit de chaume, sont solidement construits. Infirmerie, potagers ici et là, poulaillers, cabines de douche… L’eau arrive par des tuyaux courant sur des centaines de mètres.

Derrière le fortin sud, un groupe de zadistes s’inquiète : «C’est une bonne nouvelle, mais pas une victoire. On ne leur fait pas confiance.» Certes, le tribunal a établi que le projet était illégal au regard de la loi sur l’eau, en raison d’une compensation très insuffisante des zones humides qui allaient être détruites sur ce château d’eau naturel qu’est le massif de Chambaran. En revanche, les juges ont débouté les plaignants (pêcheurs, écologistes et habitants de Roybon) opposés au projet, sur leur demande d’annulation d’un autre arrêté, celui autorisant la destruction d’espèces protégées et de leurs habitats : la reprise du défrichement, non concerné par la loi sur l’eau, reste donc en théorie possible. Certaines des clairières sont restées à l’état de terre nue, tant elles ont été labourées par les engins. Dans d’autres, la végétation est en train de reprendre ses droits. 40 hectares ont déjà été défrichés, il en reste autant.

Il serait pourtant difficile pour Pierre & Vacances de justifier la reprise du défrichage en sachant que son projet n’est en l’état plus légal. Le groupe a annoncé dès la mi-journée qu’il allait faire appel de la décision du tribunal administratif, mais la procédure sera longue et son issue reste incertaine… et puis il faudrait expulser les zadistes. Ces derniers l’ont bien compris. Certains se projettent même dans l’après-Center Parcs : «Ce genre de lieux ouverts, non appropriés par le privé, où l’on apprend à vivre ensemble, sont précieux : il faut les développer», explique l’un d’eux. Un autre rétorque : si le Center Parcs est annulé, il quittera les lieux. Un débat complexe au sein de cette petite communauté en perpétuel renouvellement au gré des départs et des retours des uns et des autres.

«Peigne-cul». A la mi-journée, le village de Roybon écrasé par la chaleur est désert. Le patron du restaurant Au bon Roy résume l’état d’esprit des pro-Center Parcs : «Je suis écœuré. Tout le monde baisse son pantalon. Qu’une poignée d’écolos fasse la loi, ça me rend fou… Si je pouvais, je baisserais le rideau et je me casserais de ce pays. En attendant, on va monter un collectif d’action, avec blocage d’impôts et tout !» Avec un mouvement de menton rageur, il indique la forêt : «Et ces peigne-cul là-haut, qui nous emmerdent depuis des mois, quand est-ce qu’on les fout dehors ?» Au centre de la ZAD, au même moment, un groupe de zadistes s’organise pour construire une barricade. Comme si la décision du tribunal était sans effet.

Un peu plus loin, à la Maquizad, maison forestière occupée en dehors de la zone promise au Center Parcs, on termine l’édification d’une scène, d’un mât de cocagne et autres «jeux de village». Ce week-end, les zadistes seront en fête. Personne pourtant, ni au village ni à la ZAD, n’envisage encore la fin du face à face.

 

François CARREL Envoyé spécial en Isère (Libé)